En Amakna, vivait il y a fort longtemps une petite fille qui faisait pousser une fleur dès qu'elle posait un pied sur le sol.
Lors de son enfance, elle passait ses journées à marcher dans le jardin de ses parents, émerveillée par les fleurs odorantes qui naissaient sous chacun de ses pas comme par enchantement.
Elle aimait tellement ces dernières que nul ne se résolut à leur faire du mal, de crainte de blesser l'enfant.

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Puis elle grandit, choyée par ses parents dans le plus grand secret, protégée du monde extérieur, dans les plaines reculées d'Amakna. Insouciante, elle ne vivait que pour donner la vie à des fleurs toujours plus belles, et converser avec elles.
Mais un jour, elle comprit que le monde ne se limitait pas aux haies du jardin, et entreprit de parcourir les terres au-delà de la maison. Elle rêvait d'immensités fleuries, malgré les réticences de ses parents. Au bout de nombreuses discussions, ils se résolurent à laisser partir la jeune fille.
C'est ainsi qu'elle partit à l'aventure, marchant vers l'infini qui s'offrait à elle, sans s'arrêter. Elle alla d'Astrub à Bonta, de Cania à Brakmar.
Des fleurs jaillissaient çà et là, et leurs couleurs auraient du nous interpeler, mais il n'en fut rien. Le monde écrasa les fleurs, sans même réaliser leur beauté ni la souffrance de la jeune fille qui résultait de cette ignorance.
Chaque fleur qui était piétinée, elle trébuchait, chaque fleur qui était coupée, elle s'essoufflait un peu plus. C'est ainsi qu'elle réalisa que l'Homme n'était pas capable de s'émerveiller et de respecter la beauté du monde.
Excédée par tant du cruauté, elle mit un terme à son projet initial, et s'éloigna de nous autant que le peu de forces qu'il lui restaient le lui permettaient.
Essayant de toucher le moins possible le sol afin de ne faire éclore qu'un minimum de fleurs, elle réalisa que son voyage serait sûrement sans retour, car lorsqu'une fleur jaillissait malencontreusement du sol, ses pétales étaient d'un rouge sang. Le même rouge que celui qui suintait de son cœur mutilé.

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C'est ainsi que la jeune fille disparut, comme le monde l'eut vue apparaître. Mais on chuchote encore dans quelques chaumières ceci de ci de là :
« Une jeune fille nommée Orchidée marcha sur le monde des Douze, elle marcha pour lui et pour nous et quand elle comprit que nous ne lui répondrions pas avec amour elle le quitta pour les airs. Elle escalada la plus haute, la plus éloignée, la plus dangereuse des montagnes, loin au-delà de toute civilisation et du monde connu.
Elle atteignit son sommet, elle s’assit et tendit une main humide, détrempée par les larmes de son chagrin pour caresser les nuages qui caressaient ses pieds.
Le pic où rien ne poussait finit par lui rendre hommage, il avait été si ému qu’il lui accorda quelques pas fleuris. Des fleurs merveilleuses sortirent des rochers. Ces fleurs s'inclinèrent vers le bas de la montagne, comme si elles regardaient les Hommes, comme si elles pardonnaient leur cruauté. Mais la jeune fille ne voulait plus saigner alors elle arracha elle-même les fleurs qui venaient à peine de naître. Elle sentit qu’elle s’arrachait définitivement le cœur et qu’elle allait disparaître.
Depuis on dit que l'Orchidée ne veut ni du sol, ni de l’air et qu’elle ne sait vivre que dans l'eau de ses larmes. Aujourd’hui, la jeune fille est oubliée mais il existe un sommet au-dessus des nuages, un pic fleuri par un cœur d'Orchidée»

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