Toufette était une tofoune très sophistiquée.
Elle portait une grande attention à son allure, à sa manière de parler, à son comportement.
Elle ne se considérait pas comme une tofoune de basse-cour, qu’elle dédaignait pour leur allure vraiment trop "provinciale", mais comme un être d'exception, plein de raffinement et de distinction.

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Elle ne voulait pas pondre des œufs, car elle craignait que cela ne soit néfaste pour les rondeurs parfaites de son popotin. Elle n'avait pas du tout d’amies, mais c'est chose normale car de par sa haute estime d'elle-même, elle ne voulait pas se mélanger aux autres tofounes qu'elle trouvait vraiment trop vulgaires et banales.

Or, un jour comme les autres, la fermière qui passait tous les jours approvisionner les mangeoires en graines et récupérer les œufs, la regarda avec un peu plus d'insistance et d'intérêt que d’habitude.
Toufette en fut très honorée et flattée. Elle se raidit d'orgueil et pavanait encore plus dans le poulailler ensuite.
Ne tenant plus, elle s'exclama de sa voix claire et haut perchée :
- « Vous avez vu à quel point j'ai attiré son regard : elle a sans doute vu et admiré ma classe naturelle. Je suis persuadée qu’elle a pensé : "cette tofoune-là, elle est différente des autres, raffinée et distinguée". Quelle chance elle a d'avoir une tofoune comme moi pour rehausser le niveau de sa basse-cour ! »
Une tofoune voisine toussa, tandis qu'une autre lui rétorqua : - « Tu racontes vraiment n’importe quoi ! » - « Non mais c'est qu'elle se croit sortie de l'aile du Tofu Royal, cette donzelle ! » pesta une autre.

Les jours qui suivirent ne furent guère mieux si ce n'est pire : Toufette fut gonflée à bloc d’orgueil. Et cela s'aggravait avec le temps ! Elle avait la croupe cambrée à l’extrême, son popotin touffu relevé, le cou raide et allongé, le regard hautain et une démarche des plus fières.
Sans parler de ses gloussements qui étaient plus pointus et aigüs.
Les autres tofounes l'observaient, dépitées autant que consternées. Trop, c’était trop ! Elle était ridicule, et sa présence les embarrassait : son air supérieur les dérangeaient et les agaçaient.

Alors, quand la fermière vint un soir, elle l’attrapa sans délicatesse aucune par les pattes, et s'en alla avec Toufette qui criait au scandale la tête en bas et les plumes en bataille. Personne ne la plaignit, et tous savaient ce qu'il allait advenir de la prétentieuse.
Toufette eut beau s'offusquer de tout son goitre, se révolter contre les mauvais soins qu'on lui faisait subir, alors qu'elle méritait ce qu'il y avait de meilleur... Mais personne ne pleura sur son sort, personne, car nulle amie se trouvait dans la basse-cour.
Et pourtant, tous savaient que ce qui allait lui arriver n'était pas du tout enviable.

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En effet, la fermière en avait assez d'engraisser cette bonne à rien qui ne pondait pas d'œufs. Elle avait donc décidé de la cuisiner pour ne pas perdre son temps et son argent avec une tofoune paresseuse.
La pauvre Toufette finit alors sur la table du repas du dimanche, la peau dorée, les cuisses bien rebondies, la chair ferme et goûteuse. Oubliée son air sophistiqué, perdue sa classe hors du commun, Toufette, dans la cocotte, avait le simple goût d’une volaille engraissée des plus communes, cuisinée aux aromates du jardin.