perso_avec_un_casque_version_gele.jpgLa première fois que je l’ai vue je me suis évanouie dans mon scaphandrier. Elle se tenait devant moi, fière, malgré son état de décomposition avancée, me narguant avec ses petites ruelles qui s’entrecoupaient sans logique apparente et ses couleurs pastels qui accompagnait le moindre de mes regards. Je n’étais pas la seule sous le choc, Kacyo, alchimiste en herbe, avait ses ailes d’éniripsa qui frétillaient sous l’émotion. Quand au vieux Kamasu, il bondissait en riant à gorge déployée après les tofus marins qui vagabondait dans la cité sous-marine.

A chaque venue, on était accueilli par l’une des quatre statues posées à chaque entrée de la cité. Imposantes, elles prenaient l’apparence de magnifiques dofus. Kacyo ne s’était pas fait prier pour sortir tout un tas de petits instruments, qu’il choisissait pour analyser tout ce qu’il trouvait. Méticuleux, il enregistrait son charabia dans un magnéto intégré directement à son scaphandrier. Le vieux kamasu en avait fabriqué quatre, quatre calendriers, comme je les appelais au début. Ils étaient tous aussi biscornus les uns que les autres, ce qui n’empêchait en rien d’être aussi solide qu’un chêne mou. Ingénieux, notre bricoleur avait utilisé des gelés qui faisaient office de casque et nous permettaient de respirer sous l’eau. Mais aller savoir pourquoi, le papy déjanté avait parsemé ma combinaison d’étoiles de la mer d’asse et abordait un sourire moqueur chaque fois qu’il posait les yeux sur moi. Je n’allais pas faire la iopette difficile, la gelé à la fraise mettait mes longs cheveux rouge en valeur, c’était déjà ça.

Plus on en découvrait sur la cité, plus je notais les différences qu’elle arborait de sa voisine. Sufokia était tout aussi magnifique, présentant une architecture bien à elle, mais il fallait le reconnaitre, elle ne faisait pas le poids face à Soutenia. Bien sur, sur l’ile flottante, on peut pêcher en toute quiétude, boire une bonne bière du ripate et pour les plus intrépide, taper la causette au banquier, mais on a vite fait le tour de la cité. Ici, il y avait tant à visiter et à comprendre. Kacyo a mis un moment, avant de saisir la raison d’être de ces petits placards dispersés un peu partout dans la cité. Des endroits sombres, étriqués, avec en son centre un tabouret et une tablette présentant un renforcement en forme de main. Au quatre coins de la pièce, de gros éventails juraient par leurs couleurs criardes. L’éniripsa à lunette de dragoeufs, c’était arraché plus d’un cheveu pour trouver une explication. «Ce sont des têtoirs » nous avait-il expliqué un soir. Devant nos têtes ahuris, il poursuivit. «Une seule personne peut y séjourner, elle peut y faire la tête sans être dérangée. Le peuple soutenia devait être pacifique. Pour éviter toute forme de violence, les Souteniens désireux de broyer du noir étaient conviés au têtoir. Ils devaient poser leur main sur la tablette qui se chargeait de matérialiser leurs soucis en petit nuage noir. Il était ensuite balayé par les éventails.» Kacyo n’avait de cesse de répéter que c’était une idée extraordinaire.

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Personnellement, j’étais plus attirée par le jardin. Légèrement excentré du reste de la cité, loin des crabes qui nous pinçaient dès que l’on s’approchait des maisons, une flore abondante faisait office d’havre de paix. Chaque parcelle du jardin s’amusait à flirter avec mes sens. Un dégradé de couleurs roses défilait devant mes yeux et le murmure des feuilles se frottant les unes contre les autres offrait une mélodie douce et apaisante. Plus je m’enfonçais vers le centre, plus les bosquets prenaient des allures d’allées aux méandres compliqués. De nouveaux corridors se formaient à chacun de mes pas et des courants tièdes enlaçaient mon corps et me guidaient vers le centre du labyrinthe. Mon regard était sollicité sans arrêt, il volait de fleurs en fleurs, plus extraordinaire que les orchidées Freyesque. Des fleurs de merisiers jouaient aux papillons et timbraient l’ambiance de poésie. J’étais rassurée de déposer sur mon passage mes empreintes sur le lit de pollen de pissenlits. J’avais l’impression de marcher dans de la neige duveteuse et j’adorais ça. Le vieux Kamasu me racontait que les souteniens vénéraient l’esprit de chaque chose et ici, je comprenais mieux le sens de ces paroles.
jardin

Kacyo, ne prêtait guère attention aux dires du vieil énutrof, pour lui, les anciens n’étaient que des diseurs de bonnes aventures. Kamasu avait été bercé par ces légendes. On lui avait toujours dit que la cité flottante cachait bien des secrets et qu’il existait une cité perdue. Il avait alors passé son existence à dénicher une preuve de sa véracité. Fouillant le fond marin comme personne, le pauvre papy ne voyait pas ses efforts récompensés. Fatigué de passer pour un marginal déjanté il rendit la pelle. Alors qu’il se destinait à passer le reste de sa vie à pécher du kralamour, il buta sur une bien étrange tablette. Nichée entre deux dalles près de la poissonnerie et dépassant de quelques centimètres, l’objet poussiéreux brillait d’une aura violette. La chance avait frappé sa bottine, chasseur de trésors invétéré, le vieux pécheur su instinctivement qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait. Le materiau utilisé restait un mystère et les symboles gravés étaient indéchiffrables. Le vieux Kamasu avait besoin d’aide, il voulu quérir Otomai, mais c’est son jeune apprenti, Kacyo qu’il rencontrât. Intéressé par le récit de l’énutrof, le jeune eniripsa accepta de le suivre dans sa folle aventure. Les deux s’entendent comme iop et gloutovore mais les affaires sont les affaires, comme aime le répéter Kamasu. Soutenia n’était visible que lorsque toutes ces pièces étaient réunies. Kacyo accompagnait donc, le possesseur de la tablette. Quand à moi, jeune zooooooornaliste, j’avais débarqué à l’improviste pour interviewer Kamasu sur son métier palpitant de pêcheur. Il faut croire que j’arrivais au bon moment. Mon aide fut la bienvenue, à croire que ma hache y fus pour quelque chose.

Concernant mon jardin secret, les deux mulous s’étaient mis d’accord. Il paraitrait que le labyrinthe ne se déplace pas au hasard. Il suivrait les pensés de celui qui le parcours et les interprèterait en formant des corridors. Kamasu est convaincu que le labyrinthe forme des messages destinés aux dieux. Une fois le message livré, l’intéressé arriverait au bout du voyage spirituel et déposerait une bougie de sève au pied du grand arbre qui règne sur les lieux. Il prendrait le temps d’allumer les bougies déjà présentes, à l’aide d’un cercle incandescent abrité au coeur du tronc noueux. Un lien affectif serait alors créé entre chaque voyageur. L’arbre à la hauteur impressionnante, ne ressemblait en rien à ce que je connaissais. Une puissante aura bleue émanait de lui, les feuilles simples et lancéolées étaient longues et étroites. Les branches fines et allongées menaient la danse et les dirigeait vers le sol. L’arbre arborait une longue chevelure bleu/argent et remuait doucement au gré des courants. C’est un spectacle qui n’est pas donné de voir tous les jours, il est déjà arrivé que le chemin me ramène à mon point de départ. La cité, quand à elle, a encore beaucoup à me montrer, je suis loin d’avoir tout vu.