La terre tremblait autour de moi. La mer était déchainée. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, ni où j’avais atterri. Ce que je ne pouvais nier était la bataille qui faisait rage tout autour de la cité. Visiblement, le peuple de l’eau avait du mal à protéger sa métropole des envahisseurs hargneux. Je fixais d’un œil accusateur la tablette translucide responsable de tout ce chamboulement.

J’avais beau tout essayer, ma main refusait catégoriquement de sans détacher. Elle flottait devant moi, tranquille et légère, indifférente à la scène qu’elle m’imposait de voir. Soudain, une boule de feu venue de je ne sais où, chargea dans ma direction. Prise de panique, je fis comme mon chacha, je fermai les yeux de toutes mes forces et m’efforçai de penser que j’étais invisible aux yeux du monde.

J’étais encore toute tremblante quand mes yeux daignèrent se rouvrir me laissant découvrir les lieux devenus familier. Je fus surprise de constater que rien n’avait bougé, les longs couloirs sombres abritaient toujours autant d’étagères bancales et les compartiments de lectures, comme les appelait Kacyo dénotaient toujours par leur aspect cosy et chatoyant. J’aimais tout particulièrement les sièges en forme de caskargos décorés par une jolie spirale en leur centre. Ils étaient parsemés de mosaïque toute de couleurs vives et différentes.
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J’arrêtais ma courte inspection pour trébucher sur le regard furibond de l’eniripsa . Kacyo avait remonté ses grosses lunettes rondes sur son front pour mieux me jauger. Je ne pus retenir un hoquet de surprise comme l’aurait fait une enfant prise sur le fait. – Mais bon sang, combien de fois faudra-t-il te le répéter ? On ne touche à rien dans la bibliothèque. Lâchant au passage quelques grognements, la petite fée aux allures de diable s’approcha de moi. Remarquant la tablette au sol, il m’interrogea du regard. Je ne me fis pas prier, je lui révélais le moindre détail de ce que j’avais vu. Intéressant marmonna-t-il. Il ramassa l’objet, s’installa dans un des fauteuils prévus à cet effet et m’invita à le rejoindre. –Je vais regarder ça de plus près et tu viens avec moi, si ce que tu dis est vrai, je préfère avoir un combattant à mes côtés, même si c’est toi. Nous touchâmes donc ensemble le centre de la tablette et le processus se fit au ralentit. Du moins, le pensais-je. Je pouvais à présent voir nettement la tablette blanche et rigide devenir de plus en plus diaphane et prendre des teintes bleutées. Sa forme quand à elle demeura la même. Elle ressemblait à un long parchemin légèrement enroulé aux extrémités ce qui permettait une prise en main souple et aisée. Des symboles tout en rondeur s’alignaient de bas en haut sur l’un des côtés du document. Ils étaient gravés harmonieusement à même le plastique. Avec un aspect vaporeux, la tablette se confondit aux décors qu’elle dévoilait avec de plus en plus de netteté.
dsc_0767.jpg Le combat n’avait pas pris la peine d’attendre mon retour. Les deux factions se menaient la vie dure dans une danse chaotique. Nom d’un petit bouftou en mousse, je ne savais plus où donner de la tête tant on chargeait de tout coté et pourtant, pourtant, un silence troublant régnait. Aucun son, aucun fracas ne venait soutenir les exploits de la scène. La bataille prenait un air surnaturel, totalement irréel et magique.

Prisonnière de mon propre corps les sensations ne m’étaient pas pour autant interdites. Je pouvais sentir le froid environnant transpercer ma tenue aquatique et me glacer les miches. Le peuple de l’eau, habitant de soutenia, se protégeait de leurs agresseurs à l’aide de boucliers de glace. Tout en longueur et aux angles arrondis ils accompagnaient le moindre mouvement de leurs propriétaires sans que ceux-ci n’aient à le toucher. Je pus voir par la suite, leur effet dévastateur. Les lames affutées des barbares se brisaient sans ménagement à leur contact et volaient en éclat sous forme de projectiles gelés. Je remarquais que les souteniens s’efforçaient d’éviter le combat rapproché, et pour cause. De petites tailles, ils n’avaient pas vraiment l’allure de vigoureux guerriers. J’étais ébahi devant leur dextérité, leur corps fin et musculeux se mouvait avec élégance et ils esquivaient avec aisance les coups meurtriers des singes aux pelages rouges sang. On aurait dit un affrontement entre deux éléments, le feu avait un compte à régler avec l’eau.
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Je pouvais sentir jusque dans mon sang l’adrénaline des immenses primates et la frustration de certains d’entre eux. Figés en pleine action par une fine et solide couche de glace leur rage faisait trembler mes os. Les statues de givres prenaient parfois des positions à mourir de rire alors que d’autre étaient tout simplement effrayantes. Leurs yeux injectés de sangs décochaient des regards assassins et leurs mains démesurées auraient réduit en miette n’importe quel roc. De chétives carapaces de tortues couvraient leur torse. Je constatais bien vite qu’elles faisaient plus office d’ornements que de remparts. D’ailleurs leurs fourrures épaisses amortissaient déjà les chocs. A croire qu’ils avaient été créé pour la guerre.

Des lames acérées s’amusaient à lancer des reflets argentés partout où elles le pouvaient. Jouxtées au coude de chaque brute, elles suivaient le prolongement de leurs bras. Ils les maniaient avec naturel en tranchant à une allure folle la moindre particule d’eau. Loin d’être un gêne, ces armes faisaient parties intégrantes de leur organisme. Je m’attendais presque à assister à la fin du peuple de l’eau. Créatures que j’imaginais fragiles et délicates avec leurs grands yeux dépourvus de pupilles. C’était avant que je vois la puissance destructrice qu’ils possédaient. Parfaitement organisés et coordonnés, les porteurs de boucliers formaient un mur infranchissable devant les alchimistes. Armés de fioles et de matériaux mystérieux ces derniers concoctaient toutes sortes de potions qui en se mélangeant à l’eau faisaient des réactions des plus étonnantes. Je voyais certain se hâter d’imbiber des branches d’arbres de ces mélanges. Ils s’en servaient ensuite pour mener à la baguette les différents courants. D’autres en profitaient pour jeter d’étranges mixtures aux flux domptés qui étaient à leur portée, leur offrant des propriétés incandescentes, réfrigérantes ou encore empoisonnantes.
potion.png Dépourvus de bouche je ne les voyais pas communiquer, pourtant ils agissaient ensemble, unis dans un même but. Je compris enfin d’où prenait leur départ, les boules de feu, elles qui faisaient tant de dégâts dans les rangs adverses. Légèrement plus élevés que les autres, des bombardiers faisaient s’entrechoquer entre elles des pierres d’un blanc maculeux, le choc provoquait de véritables serpents de feu. Malgré tout, beaucoup d’entre eux nourrissaient les lames sans pitié des barbares. Je devinais plus que je ne voyais des êtres passés furtivement devant les souteniens mal en point. Il laissait derrière eux un filet de petites feuilles dorées et une odeur sucrée. Les blessés ramassaient les précieuses feuilles et s’en servaient pour nettoyer et panser leur plaie.


Je voulus montrer le procédé ingenieux à Kacyo mais celui-ci gardait son attention focalisée sur un point en particulier. Je suivis son regard pour comprendre, avec horreur, que l’une des quatre immenses statues de la cité avait été prise d’assaut. Protégé comme rien d’autre, le dofus était enveloppé d’une coque d’acier. Le métal se mouvait, ondulait au gré de la lumière. Un gigantesque kralamoure avait osé poser ses sales ventouses sur le dôme en verre qui bordait l’œuf en pierre et menaçait de le briser à chaque instant. Le courant qui ceinturait l’ensemble n’avait eu aucun impact sur l’effroyable poulpe. C’est alors que trois créatures surgirent de nulle part. Majestueuses et composées uniquement d’eau elles posaient leur regard de feu un peu partout. Puis tout ce passa très vite. Dans un même mouvement elles enserrèrent de leurs griffes tranchantes les tentacules du mollusque géant. Avec l’acharnement du désespoir le poulpe tenait bon, il redoubla son emprise sur le dôme qui finit par voler en éclat. Le monstre marin était de toute beauté, impressionnant de détermination, il portait une robe marron au reflet rosé et ses yeux d’un rouge profond fixaient avec fougue l’œuf de pierre. Les singes avaient fait du bon travail, le monstre cauchemardesque était bien dressé. Il se collait déjà à l’enveloppe métallique de la statue et avec un bruit écœurant de succion, la bête se mit à aspirer son contenu. Je sentis à l’atmosphère alourdit d’angoisse que l’heure était grave. Au dessus du dofus, trois souteniens en transe qui , depuis le début de l’horreur, dansaient tel des chamans autours d’un feu ,augmentèrent la cadence de leurs mouvements compliqués. On ne voyait plus leur bâton tant leur mouvement était vif. Les trois entités d’eau réagirent de suite à cette chorégraphie de tous les diables et fusionnèrent sous mes yeux ébahis. phoenix.jpg
Là où il y avait auparavant trois étranges créatures, il n’y avait désormais qu’un seul oiseau parsemé de lames d’eau. Tel une vague, il chargea non pas sur le kralamoure comme je l’avais présumé, mais sur le dofus et se mit à le marteler de sauvages coups de bec. La coque se fissura d’abord puis très vite se fendit en deux libérant un nuage de brume noire sur tout le champ de bataille. J’étais triste de voire s’évaporer la magnifique invocation. Je n’étais pas la seule à ressentir ce sentiment douloureux. Tel une nuée empoisonnée, la brume contaminait les colosses et les réduisait à néant. Les fiers guerriers avides de pouvoir et de sang, n’étaient plus que l’ombre d’eux-même. Le nuage anéantissait tout espoir et n’était que rancœur et tristesse. Profondément chagrinés, les singes repartaient la queue entre les jambes et le regard absent. Aucune réjouissance du côté du peuple de l’eau. Ils époussetaient les restes que le brouillard avait déposé sur leur peau comme si il s’agissait de vilaines barbes à papa. Ils reprenaient petit à petit, leurs couleurs d’origine qui variaient du bleu ciel au bleu orage.


Le calme après la tempête ne se fit pas attendre. Ils étaient peu vêtu me laissant le loisir de mieux les observer. Je relevais que chacun possédait un tatouage blanc. Certain les affichaient sans détour alors que d’autre plus timides les dissimulaient sous des bijoux ou des tissus plus ou moins sobres. Je remarquais qu’ils se mouvaient en permanence, changeant totalement d’aspect. Je n’eus pas le temps de mener mon inspection plus loin, nous étions déjà de retour dans la bibliothèque. J’avais un milliard de questions qui me trottait dans le ciboulot et Kacyo, l’intello, attendait patiemment que je me décide à les lui poser.